La Liste de Varian Fry

Episode 2

Varian Fry
Varian Fry

Marc Chagall, André Breton, Max Ernst et tant d'autres… 

Entre 1940 et 1941, un journaliste américain a protégé les plus grands noms de la culture européenne pourchassé par les nazis.  

Un an de course contre la montre. 

Il devait évacuer 200 personnes, il en a sauvé 1800. 

Sans lui, combien d'œuvres n'auraient-elles jamais vu le jour ?  

Aujourd'hui, qui se souvient de Varian Fry ? 


Automne 1940


En France, la politique de Pétain se durcit et devance avec zèle les exigences allemandes. 
A la radio, au cinéma la propagande bat son plein. 

De sa propre initiative, Vichy adopte, en Octobre 1940, deux lois portant sur le statut des juifs applicable sur tout le territoire français. Certains secteurs d’activité leur sont désormais interdits : la fonction publique, la presse et le cinéma notamment. La loi du 4 octobre permet l’internement des «ressortissants étrangers de race juive dans des camps spéciaux». 

Les appels aux secours affluent. Varian est leur seul espoir et il le sait. Il prend une décision cruciale : s'écarter de la liste initiale des 200 noms. 

Chaque matin, à 8h00, le boulot recommence et chaque jour, c'est pire que la veille. Avec plus de récits déchirants à écouter, plus de décisions impossibles à prendre. Ma liste est manifestement arbitraire, elle a été faite à la hâte par des gens se trouvant à des milliers de kms et qui n'ont que peu ou pas idée de ce qui se passe en France. 

A New York, son comité désapprouve ses choix.
Varian passe outre et établit de nouvelles listes, des listes qui ne cesseront plus de s'allonger.  

Je passe une nuit agitée à me demander où la Gestapo va maintenant frapper, et comment faire partir nos gens avant qu'ils ne soient pris au piège et déportés en Allemagne. J'ai dû faire des cauchemars toute la nuit car je n'arrête pas de me réveiller, le cœur cognant dans ma poitrine et, dans l'oreille, le bruit d'un coup frappé à la porte. Mais quand je vais ouvrir, encore tremblant de peur, il n'y a personne. 

Face à l’urgence, il demande de plus en plus de visas. 
Il trouve un appui inespéré auprès du vice-consul Hiram Bingham qui désobéit à sa hiérarchie. Pour lui tout visa accordé est une vie potentiellement sauvée.  
Pour tous ceux qui ne peuvent voyager sous leur véritable identité, Varian se procure de faux papiers. Peu importe les moyens, il doit les faire sortir de France. 

Le jour ou il croise de hauts gradés allemands à son hôtel, il se dit qu’il est temps de déménager. 
Que se passerait-il, si un de ses « clients » célèbres se trouvait face à l’ennemi ? 

Parmi eux, il y a André Breton. Le Pape du Surréalisme est dans une situation critique.  Vichy le considère comme un dangereux anarchiste. 

Varian Fry lui propose de venir s'installer avec sa femme et sa fille dans une magnifique Bastide qu'il vient de louer : la Villa Airbel. 

Le jour de son arrivée, Breton attrape un scorpion dans la baignoire. A la place des fleurs, il met sur la table une bouteille qui contient des mantes religieuses vivantes !








Varian Fry, André Breton Jacqueline Lamba , sa femme et Max Ernst.

André Gide, Max Ernst, Jacqueline Lamba, Varian Fry

Le Dimanche, toute la communauté surréaliste exilée à Marseille s'y donne rendez vous : le peintre Hans Bellmer, l'artiste cubain Wilfredo Lam, les poètes René Char et Benjamin Péret,  l’écrivain révolutionnaire Victor Serge.  Ils rebaptisent la villa : « Château Espère-Visa ». 

Pour tromper les angoisses de l'attente, André Breton organise des jeux. Des collages, des jeux de devinettes, des cadavres exquis . Ensemble,  ils ont l'idée de créer un jeu de carte sur le modèle du Tarot de Marseille. 

Tarot de Marseille
m0915 c 03 05 11 c
m0915 c 03 05 19 c
m0915 c 03 05 03 c

Varian s'épuise à trouver de nouvelles filières. A la frontière tout a changé. Il faut maintenant prendre d’extrêmes précautions pour quitter la France.  

Finis les commissaires arrangeant de la gare de Cerbère. Les gardes mobiles qui patrouillent à la frontière ont plus tendance à se servir de leur carabine qu’à vous indiquer aimablement le chemin de la liberté. 

Il contacte un couple de passeurs basé à Banyuls. Hans et Lisa Fittko étudient les habitudes des gardes frontières et repèrent un ancien sentier de contrebandier. Les clients devront partir désormais de Banyuls. La route est longue et difficile, mais la voie est plus sûre. Ce sera la filière F. F pour Fittko. 

Pour qu’aucun agent de police ne s’infiltre, et ne se fasse passer pour un des nôtres auprès de F, nous donnons à chacun de nos protégés un morceau de papier de couleur… A chaque extrémité, il y a le même numéro… Fittko a l’autre moitié. Si les numéros correspondent et que les deux bouts de papiers s’emboitent parfaitement, il sait que le quidam n’est pas un imposteur .

C'est ainsi que l’écrivain, réfugié allemand, Lion Feuchtwanger parvient à s'échapper, avec sa femme. Lorsqu’ils arrivent à New York, toute la presse est là pour les accueillir. Aux journalistes, il explique que des amis américains, dont il taira le nom, l'ont aidé à s'enfuir. 

En six mois, Hans et Lisa Fittko feront passer la frontière à plus d'une centaine de personnes.  

Le 23 Octobre 1940, les portes de l’Espagne se referment. Franco et Hitler font alliance. La filière F devient trop dangereuse.

Nous sommes maintenant convaincus que chaque demande de visa espagnol est soumise à un agent de la gestapo et qu’aucune autorisation n’est accordée sans le consentement de ce dernier… Or, nous avons déjà envoyé une demi-douzaine de personnes dans les geôles espagnoles et elles y sont toujours… A tout moment, elles peuvent être livrées à l'Allemagne.

Varian est à Marseille depuis 3 mois. Pour lui aussi, l’étau se resserre.
Vichy s’est plaint auprès consulat.
Il est accusé de fabriquer de faux papiers et surtout de faire sortir clandestinement des gens.
Le consul général lui demande de quitter la France immédiatement mais Fry refuse de partir tant qu'on ne lui a pas trouvé de remplaçant. 

De crainte d'une descente de police, l'équipe redouble de vigilance. On fait la chasse aux micros. On ne parle plus que le robinet ouvert pour couvrir les conversations.  Toutes les informations confidentielles sont confiées aux réfugiés sur le point de rejoindre les Etats-Unis. 

Nous tapons les rapports sur de longues bandes de papiers fins, que nous collons les unes à la suite des autres. Nous les enroulons et nous les mettons dans une capote. Puis, nous ouvrons le fond d’un tube de dentifrice, en pressons une partie, nous enfonçons la capote, refermons le tube et le tour est joué . 


Hiver 1940


En décembre, alors que Pétain fait la tournée des grandes villes de la zone Sud, la police fait une descente à la Villa Airbel. Varian se débarrasse de son précieux carnet contenant la liste de tous ses contacts clandestins. Les policiers saisissent des machines à écrire, des révolvers, des documents 
Dans la chambre d'André Breton, ils trouvent un dessin représentant un coq gaulois avec écrit :
"Le terrible crétin de Pétain". Le commissaire n’apprécie pas et embarquent tout le monde 

Fry et ses acolytes sont relâchés au bout de quatre jours. Il téléphone aussitôt au correspondant de l'association de la presse Américaine basé à Vichy.

" J'ai été arrêté et enfermé durant tout le séjour du Maréchal Pétain à Marseille… Dites à toute la presse américaine de quelle façon la France traite les sujets américains" .

Cette année là, l’hiver n’a jamais été aussi froid. Le temps presse. Le bruit court que les allemands vont bientôt occuper la zone libre.   

Il y a de l’électricité dans l’air et nous savons que, quoi qu’il arrive, les choses ne vont pas s’arranger pour les réfugiés et les français qui ont refusé la politique de la collaboration. En fin de compte il faut partir si on le peut et par n’importe quel moyen. 

Il est temps de convaincre les derniers récalcitrants de la liste, ceux qui hésitent encore à partir.  

Varian se rend à Nice pour rencontrer Matisse. 

Nous faisons notre possible pour le convaincre de partir, même s’il n’est pas personnellement en danger en tant que doyen de l’art « dégénéré » que les nazis prétendent mépriser de tout leur cœur... mais il risque fort de mourir de faim avant la fin de la guerre . 

Matisse
Matisse

Matisse refuse catégoriquement. Il écrit une lettre à son fils Pierre qui l’attend à New York : « Si tous les éléments de valeurs partent, que va-t-il rester en France ?». Ils rendent également visite à André Malraux qui s’est s’évadé d’un camp de prisonniers de guerre. Malraux refuse, lui aussi, de quitter la France. 

A Grasse, même refus de la part d'André Gide :  

Il nous explique que les allemands lui ont fait toutes sortes d’avances pour qu’il accepte de collaborer, mais qu'il a refusé et refusera toujours... Bien qu'il n'ignore pas les conséquences éventuelles d’un refus, sa place est en France et c'est en France qu'il restera.

Naturalisé français depuis 1937, Marc Chagall ne voit pas pourquoi il devrait fuir. Il change d'avis avec les premières lois anti juive de Vichy et rejoint Marseille avec sa femme.  Quelques jours plus tard, il est arrêté par la police. Varian téléphone aussitôt au commissariat. 

Si cela venait à se savoir, le monde entier serait scandalisé… et c’est à vous qu’on le reprocherait… S'il n'est pas sorti dans 1/2 heure, j'appelle le New York Times et je leur donne l'information. 

Dix minutes plus tard Chagall est libéré.  


Printemps 1941


Cela fait maintenant, 7 mois que Varian Fry s'accroche coûte que coûte à sa mission. Envers et contre tous. La préfecture refuse de lui renouveler son visa. Le consulat américain, lui confisque son passeport. Il a perdu 8 kilos et commence à montrer des signes de malnutrition.  

Nous avons tellement faim que le poisson rouge dans le bassin passe à la casserole et, aussi peu appétissant que soit le repas, nous essuyons soigneusement nos assiettes. 

Malgré les privations, l'ambiance à la villa Airbel est joyeuse. Le peintre Max Ernst a rejoint la bande.  Les surréalistes organisent dans le jardin des expositions et de fausses ventes aux enchères de ses tableaux.  

Ce qui aide beaucoup c’est le vin. Plus la nourriture se fait rare, plus le vin coule à flot et nous passons la soirée à boire et à chanter . 

Bien que non juif, Max Ernst sait qu’il est sur la liste des peintres dégénérés condamnés par Hitler. Il est temps pour lui de quitter la France.  


Villa Bel Air
Max Ernst et Varian Fry

Une brèche s'entrouvre, Vichy accorde à nouveau des autorisations de sorties du territoire. 

Nous nous transformons du jour au lendemain en une sorte d'agence de voyage rivalisant, par la rapidité et l'animation, avec celle de l'Américain Express sur la canebière. Désormais, nous pouvons effectuer - au vu et au su de tous - ce qui a toujours été notre raison d'être : l’émigration.

Le 25 mars 1941, le navire « le capitaine Paul Lemerle » largue les amarres. André Breton, Victor Serge, Wilfredo Lam, Anna Seghers, plus de 300 personnes ont embarqué en direction de la Martinique.  

Max Ernst et Marc Chagall, prennent le train jusqu'à Lisbonne puis l'hydravion jusqu'à New York. Ernst emporte avec lui, toutes ses toiles roulés dans la valise. 

Même si ce printemps là, nous connaissons plus de réussite que d'échecs, cette période m'apparaîtra toujours comme celle de difficultés grandissantes qui s'achèveront par une série de crises et de catastrophes.  

Autour de Varian, les têtes commencent à tomber 

Bill Freier, le faussaire de l’équipe est arrêté sur dénonciation, il est interné dans le camp du Vernet puis sera déporté à Dachau. Hiram Bingham, le vice consul, est révoqué pour avoir délivré trop de visa. Le bras droit de Varian Fry, Daniel Bénédite a été trahi et est incarcéré pour trafic illégal de devises. En attendant le procès et moyennant une forte caution, il est libéré.

Je dois dire que, quand il entre dans la pièce, je ne peux m'empêcher de le prendre dans mes bras et de le serrer contre moi et de pleurer. Je me sens complètement idiot, mais c'est plus fort que moiDanny m'assure que son arrestation et toutes les fouilles qui ont suivi font partie d'une campagne de déstabilisation pour me pousser à quitter la France… En effet, on ne peut pas expulser sans preuve un américain. 


Eté 1941


Varian Fry essai d'obtenir le soutien d'Eleanor Roosevelt, mais celle-ci écrit au comité de New York : "Je crois que Monsieur Fry va devoir rentrer parce qu’il a pris des initiatives que le gouvernement américain ne crois pas pouvoir défendre". 

Convoqué par le chef de la police, Il est expulsé de France le 29 Août 1941.  

En voiture ! crie le chef de gare. 
Je me tiens sur la dernière marche pendant que le train sort lentement de la gare. Ils sont là, en rangs serrés, debout, là, sur le quai, agitant leurs mouchoirs pendant que mon train quittait la gare.
 

Arrivé à Marseille en Aout 1940, Varian Fry devait rester 3 mois, il a résisté un an.
Il devait exfiltrer 200 personnes, il en sauvera 1800. 

Peu à peu, il tombe dans l'oubli. Ce n'est qu'en 1967, quelques mois avant sa mort, que Varian Fry est fait Chevalier de la Légion d'Honneur par André Malraux.  
En 1995, il est le premier américain à être reconnu comme Juste parmi les nations par le comité du mémorial de la Shoah à Jérusalem. 

Si j’ai le moindre regret à propos du travail que nous avons fait, c’est que c’était si peu… Nous aurions dû en sauver bien davantage, mais nous avons fait ce que nous avons pu. 

Cette expérience m'a profondément transformé. Parfois, j'ai l'impression d'avoir vécu toute une vie depuis que j'ai descendu l'escalier monumental de la gare St Charles à Marseille, et réservé timidement une petite chambre à l'arrière du Splendide. Ce changement est l'empreinte indélébile que cette année, passée à mener ma propre petite guerre, a laissée en moi... 
ll s’agit de l’expérience la plus forte que j’ai jamais vécue.  
VF 









ARTISAN CIRIER

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